Mots-textes

Les plus beaux mots


J'avais rêvé d'être poussée à bord d'un avion qui volerait vers des îles

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   Les hommes savent les désastres que certains mots déclenchent dans le coeur des filles: et nous, pauvres idiotes, nous pâmons et tombons dans le piège, excitées qu'un homme nous en ait enfin tendu un.

   Il me proposa de boire un café après la fermeture. J'avais cent fois, mille fois rêvé ce moment où un homme m'inviterait, me courtiserait, me convoiterait. J'avais rêvé d'être ravie, emportée loin dans le feulement d'une automobile rapide, poussée à bord d'un avion qui volerait vers des îles. J'avais rêvé de cocktails rouges, de poissons blancs, de paprika et de jasmin mais pas d'un café au Tabac des Arcades. Pas d'une main moite sur la mienne. Pas de ces mots sans grâce, ces phrases huileuses, ces mensonges déjà. Alors ce soir là, après que Jocelyn Guerbette m'eut embrassée, affamé et impatient, après que je l'eus délicatement repoussé et qu'il se fut éloigné en promettant de revenir me voir le lendemain, j'ouvris mon coeur et laissai mes rêves s'envoler. 

   J'avais fini par chérir le souvenir de sa main moite sur la mienne lors de notre premier rendez-vous au Tabac des Arcades ; Il m'arrivait encore de pleurer de joie lorsque je fermais les yeux et entendait ses premiers mots, c'est vous qui êtes une merveille. Je m'étais faite à son odeur âcre, animale. Je lui avais beaucoup pardonné parce que l'amour demande beaucoup de pardons. Je m'étais préparée à vieillir à ses côtés sans qu'il ne m'ait jamais dit de mots jolis, une phrase fleurie, vous savez ces idioties qui font chavirer le coeur des filles et les rendent fidèles pour toujours. 

                   

                       Gregoire Delacourt: La liste de mes envies

 


13/12/2013
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Je passais des heures à observer Lounja

       Femme dans la rivière by Emmanuel Garant.JPG

 

   Au pied du mamelon, la rivière éventre le sol, les galets pareils à des entrailles fossilisées. Les femmes de naguère y venaient par essaims, laver leur linge. L’eau cascadait de la montagne et déambulait loin de dans la plaine. Les roseaux se coudoyaient fermes sur les bergers pour impressionner les lauriers-roses. Par endroits, le lit était profond. On y barbotait tout son soûl, dans une aquarelle de vociférations et d’éclaboussures étincelantes. Des fois, on faisait semblant de se noyer pour voir nos chiots geindre et tergiverser sur le talus avant de nous rejoindre dans d’héroïques plongeons. Je nageais rarement, moi. Je préférais me dissimuler dans les roseaux et je passais des heures à observer Lounja. Elle avait l’eau jusqu’aux genoux, les cheveux tel une coulée d’or sur le dos et, collée à sa peau, sa robe mouillée dévoilait ses seins naissants, beaux comme deux soleils frisés.

 

         Yasmina Khadra : L’automne des chimères

 


12/12/2013
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